Le culte du corps parfait au pays de la pizza

Y’a cette drôle de dualité chez les Italiens que, pour être ben honnête, j’avais jamais remarqué avant. D’un côté, on le sait, l’Italie, c’est le pays de la dolce vita, de la bouffe, de l’hédonisme. Pas enjoy manger, c’est un véritable péché. Pas boire de vin, c’est presque un crime. Faire le plein de bonnes choses, manger et boire avec appétit, ça fait partie de la daily life, ici, où presque tout tourne autour de la bonne chère : les rassemblements entre amis, les dates, les journées au marché, les voyages gourmands, les nombreuses pauses café, etc. Pis, d’un autre côté, les Italiens ont un culte du corps svelte, musclé, bronzé et parfait digne du Miami des années 80. Ils ont même un mot pour décrire quelqu’un qui s’arrange pour ressembler au David en tout temps : palestrato. La traduction littérale, ce serait «être gymmé». Le message c’est donc : mange, pis mange beaucoup, pis mange avec appétit, pis prend un verre de vin avec ça, mais jamais oh grand fucking jamais ait un petit bourrelet qui dépasse, or else.

La raison pourquoi j’ai jamais remarqué ça avant, c’est que la première fois que je suis déménagée en Italie, je portais au moins trois tailles de pantalons de moins. La trentaine, la pandémie et mon envie de goûter à toutes les bonnes choses tout le temps m’ont fait prendre du poids – pis c’est ben correct, un corps, ça change. Mais pour la première fois de ma vie (c’est dire mon privilège), je me sens… différente. J’ai pas les petits bras spaghetti des Italiennes, j’ai une bédaine (ce que les Italiens appellent avec effroi avere la pancia) et des seins qui rentrent pu dans mes brassières pré-pandémiques. J’ai voulu aller acheter des vêtements dans les magasins de fast fashion italiens et mon cul qui fait du 10-12 ou du XL au Canada rentrait pas dans la plus grande grandeur disponible. Pire: si j’avais fait 5 cm de plus de tour de taille, JE RENTRAIS PAS DANS LA CABINE. C’est pas une blague.

Je savais déjà, pas pour l’avoir expérimenté moi-même, mais parce que je me suis informée sur le sujet grâce aux partages de différents activistes sur les médias sociaux, que c’est difficile au Canada de trouver des vêtements pour les plus grandes tailles qui sont beaux, bien faits, à notre goût, etc. Qu’avec les H&M et Zara de ce monde, ça marche pas pantoute, pis que c’est un absolute struggle de s’habiller quand tu fais plus que du XL. Mais c’est ben beau de SAVOIR quelque chose, le VIVRE, c’est une autre affaire.

T’as beau être body positive, body neutral, féministe radicale anti-patriarcat pis tout ce que tu voudras, pas être capable de te trouver une paire de pants dans une ville reconnue pour être une capitale de la mode, c’est rough sur l’estime de soi en tabarnak.

Pis c’est frustrant.

Pour mille raisons, mais parce que le double discours qu’ils tiennent dans ce pays est tellement fucking toxique. En gros: enjoy la vie, mais ARRANGE-TOI POUR QUE ÇA PARAISSE PAS. Depuis ma deuxième arrivée, je vois des trucs qui m’avaient échappé, avant. Les nombreuses publicités pour des diètes, des pilules pour faire maigrir left and right dans les pharmacies, les TikToks de très, très jeunes filles qui s’haïssent et qui font des jokes sur le fait qu’elles devraient arrêter de manger, le fait que y’a pas plus haut qu’une taille large dans presque tous les magasins de linge, les commentaires sur le poids qui se veulent bienveillant, mais qui le sont pas, les discussions entre filles qui, vraiment, vraiment souvent finissent par tourner autour du «wellness», juste une façon détournée de parler de son tour de taille et de comment c’est bien de juste manger des noix et des zucchinis. J’ai littéralement eu des dates avec des hommes qui me disaient être au régime avant tel ou tel évènement, plainly, comme si c’était normal. C’est absolument surréaliste. Tout ça, je le rappelle, dans un pays dont la gastronomie est reconnue PARTOUT et où la bouffe est au centre de la vie de tout le monde.

L’Italie est au moins dix ans (voire vingt) en retard sur les conversations féministes/antiracistes qu’on a au Québec ou aux USA présentement. Pas étonnant, alors, qu’on soit encore en train de parler de «ventre plat» aux deux secondes, que ce soit franchement normal de commenter le corps des gens, et que les Italiens payent extra cher pour aller suer leur vie au gym chaque jour pour avoir l’air gymmé. On est loin en tabarouette du all bodies are good bodies et du health at every size, m’a vous dire.

Je mentirais si je disais que ça me joue pas dans le coco. Je travaille fort à me retirer de cette conversation toxique, mais elle est omniprésente, faque c’est difficile. Mais ça me fait me demander un truc qui, je pense, est important :  pourquoi est-ce que y’a fallu que je vive moi-même cette discrimination(-ish) avant de m’insurger pour de vrai? Pourquoi j’ai pas demandé mieux de mes magasins prefs au Québec, quand je rentrais dans leurs vêtements, en sachant qu’une esti de bunch de consommateurs eux, pouvaient pas rentrer leurs culs dans le linge disponible? Pourquoi c’est juste maintenant que je vis pleinement la problématique que j’en comprends l’ampleur, alors que les fat babes pis les activistes plus size que je suis sur différentes plateformes répètent ad nauseam que C’EST PAS NORMAL depuis des années?

C’est ben beau écouter, tenter de comprendre, mais si après on fait rien avec les informations qu’on retire de nos échanges avec les gens qui vivent des discriminations, ben on sert à pas grand-chose, actually.

And I guess that is a lesson learned.

M’en retourne manger des pâtes. xx

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