La joie et la fin du monde

S’cusez d’avance d’être Debbie Downer, mais laissez-moi commencer par avouer que je suis de celles qui pensent qu’il est trop tard pour sauver notre maison en (littéral) feu. Est-ce qu’on peut sauver une couple de meubles, le chat, notre boîte à souvenirs pis notre sacoche préférée? Oui, sûrement, peut-être. Si on se grouille et avec un peu de chance et un coup de pouce (ou un châtiment, genre tous les milliardaires qui pognent le cholera en même temps) divin. Après, r’garde, est-ce qu’on pourra rebâtir sur la fondation avec une bâche de l’armée du salut pis quelques bâtons de popsicle? Maybe. Reste que ce sera pu notre maison confortable d’avant, avec notre petit diffuseur d’huile essentielle pis notre taie d’oreiller en soie.

Call me a doomer all you want, je me trouve personnellement juste réaliste. J’suis pas en train de, pour autant, boire du pétrole dans des coupes en blood diamond sur un yacht zyeutés de loin par une gang de killer whales. Je fais ce que je peux, mais c’est ça qui est ça pareil. (Bel argument, hen? It izzz what it izzzz.)

J’écris ces lignes durant la énième canicule, vague de chaleur extrême, de l’été italien. Je me demande ça va en prendre combien, des canicules consécutives, avant qu’on finisse juste par appeler ça « l’été d’aujourd’hui » - qui heyyyy est le plus frais du reste de notre vie. Yay! Je cale de l’eau, la moustache bien suintante, le front qui perle, le cœur qui pompe et je réfléchis.

(J’ai presque fini mon moment de désespoir, j’arrive à mon point-ish. Bear with me for another minute.)

Faque, on s’entend, notre maison, on la sauvera pas. En tout cas, pas vraiment. That’s bad. Ça va mal à shoppe. Y’a des gens qui vont brûler en même temps que le contre-plaqué, d’autres qui vont réussir à sauver l’argenterie avant de s’échapper au chalet. Ce sera pas beau, ni l’fun. Du monde qui ont peur pour leur vie (et leur confort) et qui manquent de ressources (surtout s’ils en ont jamais manqué, on se rappelle le papier-de-toilette-gate du premier lockdown), dans un monde ultra individualiste c’est a recipe for disaster. Soyons honnêtes, deux secondes. Tsé, notre idée de commune qu’on se fait avec les amis du Plateau où on aurait des poulets et une terre, quelque part pas trop loin de Montréal ? Est-ce qu’on serait prêt à y accueillir une famille de 12 du Bangladesh, qui, déplacée par la chaleur, se cherche une place où survivre? Est-ce qu’on serait prêt à nous squeezer? À partager? À faire place à l’Autre avec un grand A?

C’est ce que je pensais. On aimerait mieux pas, hen? On le ferait peut-être, à reculons, en mettant sous clef nos dernières réserves de vin nature.

C’est pas notre faute, en tout cas pas vraiment. On sait pu c’est quoi, une communauté (merci, late stage capitalism). On est toute tu-seul chacun de notre bord, on sait pu partager, on sait pu se tendre la main, pis ça va revenir nous bite in the ass, apocalypse style. La COVID-19 nous en a donné un bref aperçu. (J’dis pas que la solidarité existe pas, mais j’ai hâte de voir how it will play out dans une situation de vie ou de mort, avec pas de réseaux sociaux pour partager nos good deeds – mais je m’emporte).

Bon, elle a-tu fini avec son pessimisme de marde de rich privileged white girl ?

Presque.

 La planète meurt, okay. On top of that, on est en train d’assister à pretty much un societal collapse: manque d’argent, manque de prof, manque de docteurs, manque de médicaments, manque de logements, manque de ressources par-tout (sauf pour Jeff, Mark, Elon et compagnie qui continuent de s’enrichir façon Crassus même s’ils sont des câlisses d’épais pas d’âme, appelons un chat un chat et crissons le dans la guillotine au plus tôt). On est en crise d’angoisse collective, personne va vraiment bien, ni physiquement (thanks, long COVID et le fait que t’es sur une liste d’attente pendant 24 mois pour te faire suturer une plaie ouverte sans anesthésie parce qu’on manque de pelules) ni mentalement (*gestures vaguely at everything*). Les droits de basically tout le monde qui est pas un cis white man recule aussi rapidement que la température des océans augmente.

Y’a de quoi virer absolument. coucou. crazy.

FAQUE. J’en viens à quoi avant qu’on aille tous se pitcher en bas d’un pont surplombant une rivière asséchée?

J’en viens à mon mot de l’année (quelque chose que je fais tous les Premiers de l’an): joie. Vous me direz: iiiiiish. Ish, indeed.  Dans le contexte, le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est mon mot le plus ambitieux, le plus difficile. J’ai lu, j’ai pensé. Trop, sûrement. J’ai encore plus de questions que de réponses. On peut peut-être s’aider?

À qui, à quoi ça sert, la joie? À nous-mêmes, certainement, mais est-ce que c’est pas se mettre la tête carrément dans le sable (bitumineux)?

Est-ce que c’est salvateur ou obscène d’être joyeux, voire de partager sa joie, en contexte d’extinction de masse?

J’avais (et j’ai toujours, deep down) comme mentalité que l’existence est faite pour le plaisir. Que c’est juste ça, le but d’une vie : rechercher le plaisir, le fun. Aimer, être aimé, passer du bon temps seul ou entouré, profiter, relaxer, s’émerveiller. Parce que fin du monde ou pas, la vie est un éternel shit show de peines, d’angoisses, de drames et de tempêtes – j’ai donc pour mon dire que, quand on a droit à une petite accalmie, vaut mieux en profiter en esti. D’où l’importance de grappiller CHAQUE instant de joie, de bonheur, de plaisir quand on le peut. Quand ces moments se présentent à nous tout bonnement, oui, mais aussi en les cherchant activement, intentionnellement.

Ça aide – en tout cas ça m’aide, moi – de mettre mon cerveau en mode détecteur de joyful pépites. En tout cas, ça m’aidait.

Je savais que l’été italien serait difficile – it always is et c’est probablement mon dernier, aussi. (#privilege) It’s worse than I imagine cette année. Pendant des semaines, ça me met le nez dans le caca de la climate crisis et des inégalités qui l’accompagnent.

J’essaye fort, vraiment, d’activer ce dit détecteur de joie et, malgré tout, de temps à autre, je tombe sur un petit joyau. Un petit boost de dopamine. J’ai le réflexe de le partager, souvent, sur les médias sociaux. Comme si voir les joies simples des autres pouvait nous aider à remarquer les nôtres. Comme si ça pouvait être contagieux.

 Mais j’en suis plus certaine.

 Chaque petit glimmer de joie dans mon for intérieur s’accompagne maintenant d’un profond sentiment de culpabilité. Le partager me fait sentir obscène, vulgaire, détachée de la réalité. Ça t’éteint une p’tite étincelle sur un temps.

Ma question (ma millième and more to come) est la suivante:

Est-ce qu’on a le droit de romanticiser son existence, de faire de la joie notre port d’attache, alors que toute pète autour de nous? Alors que tout – et tout le monde – va mal?

Est-ce complètement delusional? (Ça me fait d’ailleurs très rire, très jaune, de voir les GenZ s’approprier ce concept, le voyant comme étant la seule façon de vivre sous le joug du capitalisme.)

Est-ce un devoir?

Est-ce un manque de sensibilité?

Est-ce égoïste?

Est-ce futile?

Est-ce nécessaire?

On aide personne quand on est misérable, soit. Mais qui aide-t-on quand on est joyeux, et quand on partage cette joie?

Et est-ce qu’on peut être joyeux sans pour autant être hopeful?

Je me demande si on a le droit de jouer une dernière partie de skip-bo entre amis en riant, dans le salon, pendant que les flammes ravagent le grenier.

J’ai lu, récemment, qu’être un humain adulte émotionnellement mature, c’est d’être capable de vivre plusieurs émotions contradictoires en même temps. De leur faire de la place pour cohabiter. C’est peut-être ça, la clé. Être triste de tout ce qu’on perd, de tout ce qu’on a perdu. En colère contre le système qui nous anéantit et qui creuse le fossé des inégalités. Et… joyeuse, pareil, quand le soleil fait un petit arc-en-ciel sur le plafond de ma chambre pendant que je bois mon premier café italien du matin.

Comme un plaster sur une plaie ouverte, mais crisse, c’est quand même mieux que de la laisser s’infecter sans chasser les mouches.

Pis la partager, cette joie? Je sais pas. Pas pour faire mon rich white dude qui cherche le sens de sa vie en allant s’auto-starve dans la toundra, mais: is happiness only real when shared?

Je pense aux gens que j’aime. Y’a pas grand-chose qui me rend plus heureuse, joyeuse, que des les voir heureux et joyeux, eux. J’irais jusqu’à dire que c’est ma plus grande source de joie. Leur joie, c’est la mienne aussi. Si j’ose extrapoler, peut-être que de voir la mienne les aide aussi, d’une certaine façon?

Et si c’était ça la réponse: la joie est utile, voire nécessaire, quand elle est partagée avec les bonnes personnes? Celles à qui on est reliées par un fil invisible, peu importe la distance, qui fait qu’on pleure quand elles pleurent, et qu’on rit quand elles rient? (Dit-elle dans un billet de blogue accessible aux étrangers de la planète entière.)

Ça en fait, des questions, hen?

On devrait peut-être en jaser autour d’une partie de skip-bo, dans le salon. Who’s in?

 

 

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